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Des objets, une histoire – Notorious d’Hitchcock

Il y a un drame ici et personne ne s’en doute, et ce drame réside dans un seul fait, un petit objet : cette clef.1
Hitchcock

Notorious | Analyse

Le récit de « Notorious » est structuré par l’action de boire et par des verres, bouteilles, mais aussi par des clefs et donc des portes. L’action de boire et les objets liés à la boisson se déclinent en verre, tasse, bouteille pour les objets, et en alcool, café, poison, médicament et eau.

L’utilisation de ces objets et de l’action de boire déterminent le développement du récit et suit une évolution thématique tout au long du film. Ces objets permettent aussi de dégager le sens symbolique dont Hitchcock a voulu charger son film.

Les objets liés à la boisson et les clefs sont à l’origine de la structure en quatre étapes de Notorious. Tout d’ abord le film développe le thème de l’enivrement qui est lié à celui de l’exhibitionnisme et du voyeurisme. Puis, à l’enivrement va suivre un arrêt de l’alcool et une vision claire qui amènent l’espionnage. Ensuite c’est l’empoisonnement et l’enfermement d’Alicia, et enfin la boisson devient antidote et guérison, elle est libérée. Voyons comment cette évolution en quatre temps est développée conjointement à l’aide de la boisson et des clés.

I Enivrement, exhibitionnisme et surveillance

Ivresse, un masque de la vérité

L’enivrement et la surveillance sont les premiers thèmes développés dans le film. La boisson a pour première fonction de présenter le personnage d’Alicia, la caractériser. La scène de la soirée après le tribunal, qui est la deuxième scène du film, présente Alicia avec ses amis. Sa première apparition dans la scène la montre un verre et une bouteille à la main, elle sert ses invités, les incite même à boire. Alicia est donc présentée par son rapport à l’alcool, elle recherche l’ivresse, aguiche les hommes, les saoule. La première phrase que Devlin lui dit est « un verre chacun », il l’incite lui aussi à boire. Elle est donc une femme facile, frivole. Hitchcock montre l’enivrement par l’utilisation de caméra subjective. Par exemple lorsqu’elle est au volant avec Devlin et qu’elle croit qu’il y a du brouillard alors que ce sont ses cheveux qui sont devant ses yeux et qui trouble sa vue, le plan nous montre la route masquée par des cheveux. Sa vision est faussée, de même elle comprend trop tard que Devlin n’est pas un simple invité mais qu’il est un espion.

Par ailleurs, comme le film le montrera plus tard, Alicia se sert de l’alcool pour apparaître comme une femme facile, ce qui empêchera Devlin de montrer l’amour qu’il a pour elle. Mais Alicia n’est pas une telle femme, mais elle en joue le rôle.

Du voyeurisme à l’espionnage

Dans ce début de film, les clés ne sont pas présentes en tant que telles mais sous la forme de portes. Un des premier plan est un plan de porte, une porte très imposante, celle de la cours de justice. Dès le début un journaliste regarde ce qui se passe dans la salle de jugement à travers la porte. Le plan est sa propre vision, on voit les cadres de la porte de chaque coté de l’écran, cela crée un cadre dans le cadre. C’est du voyeurisme, comme cela est précisé par le premier plan : un gros plan d’un appareil photo. Ainsi, le thème de la surveillance est annoncé.

Ensuite avant de présenter la scène de la soirée chez Alicia, Hitchcock filme sa maison vu de l’extérieur, avec la porte d’entrée, de jour puis de nuit. Le spectateur sait que c’est la vision d’un espion car au tribunal un homme à été chargée de suivre Alicia. L’utilisation d’une caméra subjective révèle le voyeurisme. C’est la vision de l’espion qui nous est présenté, d’ailleurs Devlin est chez elle de dos dans l’ombre ne parle pas, on ne le voit pas car ce qui est important, est ce qu’il espionne, ce qu’il voit et non lui. La première question, que lui pose un des invités, annonce le voyeurisme. On lui demande s’il est vrai qu’elle a été suivi. Alicia, au contraire, s’exhibe. Elle est plutôt dénudée et Devlin lui attache un foulard sur le ventre qu’elle dévoile.

Il y a donc un jeu sur l’exhibitionnisme du à l’enivrement que procure l’alcool et sur le voyeurisme du à la surveillance dont Alicia fait l’objet.

II Sobriété et espionnage

Vision claire, découverte du secret

L’étape suivante est celle de l’arrêt de l’alcool et de l’espionnage. Lorsqu’elle se réveille saoule le lendemain, Devlin s’approche d’elle, la caméra présente Devlin à l’envers. Hitchcock utilise encore la caméra subjective qui présente la déformation visuelle à laquelle est soumise Alicia. Un plan du visage d’Alicia au lit, saoule, présente au premier plan un verre au liquide opaque, c’est un médicament. Devlin lui dit, lui aussi de tout boire, de la même façon qu’elle l’incitait à se saouler, il l’aide à présent à dessaouler.

Après cela elle entreprend d’arrêter de boire. Lorsque à la terrasse d’un café à Rio, elle dit à Devlin qu’elle a arrêté de boire depuis 8 jours, que l’on comprend qu’elle a décidé de séduire Devlin, de devenir une femme que l’on épouse. Ainsi le changement qui s’opère en elle est divulgué par son rapport à l’alcool. C’est une grosse bouteille d’eau en verre qui se trouve sur la table. D’ailleurs lorsque dans la même scène, Devlin ne veut pas croire en elle, en sa capacité à s’améliorer, Alicia décide, après en avoir refusé, de prendre une double portion d’alcool. La scène s’achève sur le visage de Devlin portant le verre à sa bouche. Cette scène est suivie par une scène où Alicia dit à Devlin qu’il a peur de l’aimer car elle est une ivrogne.

Une bouteille de vin : personnification d’Alicia

Lors de la scène d’amour à l’hôtel, elle demande à Devlin de rapporter du vin pour fêter leur union. Le plan suivant débute par Devlin portant une bouteille à la main. On enchaîne tout de suite par un travelling qui débute sur un gros plan de cette même bouteille puis qui s’ouvre sur le corps de Devlin. Lorsqu’il quitte le bureau, la caméra ne le suit pas mais termine son travelling par un gros plan sur la bouteille. Ce plan adopte la vision de son patron. Dans cette scène chez les espions américains, on remarque que cette bouteille est une incarnation d’Alicia, la représente alors qu’elle est absente.En effet, Devlin ne veut pas qu’Alicia ait à séduire Sebastian, mais quand il quitte le bureau, il sait qu’il n’a pas le choix, qu’elle devra le faire, c’est alors qu’il l’abandonne comme nous l’apprendrons dans la scène suivante. Il y a d’ailleurs une surimpression de la bouteille oubliée sur le plan de l’arrivée de Devlin dans la chambre d’hôtel. L’alcool, même oublié le suit, rappelle sa présence. L’alcool a donc un vrai pouvoir dans le récit. Dans cette scène, elle attend de l’amour mais il restera glacial, elle se met donc à boire. Le plan montre la vision de Devlin, de l’extérieur, qui voit Alicia une bouteille et un verre à la main, derrière une vitre et un rideau. Elle, au contraire est à l’intérieur. Ainsi, la vision de Devlin est cachée par le rideau, troublé, il en est de même en ce qui concerne l’état d’âme d’Alicia. La scène se termine sur Devlin qui demande où se trouve le champagne qu’il a acheté. Un montage parallèle appuie la séparation de Alicia et Devlin. Un plan d’ensemble présente Devlin à gauche du cadre, à table dans le café où il était avec Alicia mais il est seul.

Devlin : un antidote contre l’alcool

A ce plan succède un plan d’ensemble de Alicia à droite du cadre à table dans un restaurant, elle est seule mais attend Sebastian. Sur les deux tables respectives, il y a des verres, de la boisson. La superposition de ces plans, les rassembleraient. Ils sont éloignés physiquement mais semblent penser l’un à l’autre, rassemblés par l’esprit. Mais Alex entre par une porte, il fait intrusion physiquement dans ce couple, mais aussi psychiquement. C’est la boisson, des plans de bouteille, des discussions sur le thème de l’alcool qui font les raccords entre les plans. Ainsi, jusqu’à présent on remarque que la boisson a eu pour rôle de présenter les mœurs de Alicia, puis de montrer sa volonté de changer. Ainsi le rapport à l’alcool n’est plus l’enivrement mais le rejet de l’alcool et Devlin en est la cause. Il est l’antidote, le remède à l’enivrement, il est celui pour qui Alicia veut arrêter l’alcool. Mais les déceptions amoureuses d’Alicia, la conduise à reboire mais sans s’enivrer.

Des bouteilles de vin cachent le secret

Mais à ce stade du récit, la boisson, va prendre une autre forme, celle de l’uranium, qui est l’objet de la quête. Alicia n’est plus alcoolique, n’a plus de visions déformées et a les idées claires, elle est donc à même de mener à bien sa mission. La boisson a un rôle primordial dans le film et ce que les protagonistes cherchent tout au long du film (le Mac Guffin) est lié à la boisson : l’uranium est contenu dans des bouteilles de vin. C’est l’alcool qui cache le secret.

L’objet de la quête est dévoilé par un des nazis qui semble perturbé lorsqu’il aperçoit des bouteilles de vin lors d’un dîner. Alicia regarde les bouteilles, la caméra est subjective. Mais la caméra fait un travelling avant pour finir sur un gros plan des bouteilles, ce qui n’est pas naturel. Le regard ne peut faire ce mouvement car Alicia est assise, ne se rapproche pas des bouteilles. C’est donc le narrateur qui intervient pour appuyer l’importance de ces bouteilles. Il faut noter qu’elles sont au nombre de 3, ce qui rappelle le trio Alicia, Devlin, Alex. Comme le plan sur la bouteille de champagne oublié par Devlin chez les espions américains, les bouteilles deviennent incarnations des personnages et marquent leur présence en leur absence.

Le comportement de ce nazi, va conduire les autres à l’éliminer. Ainsi, la boisson est donc cause de mort. Remarquons le cynisme de Hitchcock : ce nazi va proposer un café (encore une boisson) pour servir les autres et essayer ainsi de rendre aimable et de se faire pardonner.

Les clefs de la cave : clefs de la solution

En ce qui concerne les clefs, elles acquièrent un rôle primordial pour la découverte du Mac Guffin, de l’objet de la quête. L’arrivée d’Alicia chez Alex pour la première fois est présentée par un travelling où Alicia sort de la voiture et se dirige vers la porte d’entrée de la maison en haut d’une montée d’escaliers. (Remarquons que c’est la même configuration architecturale que lorsque Devlin se dirige vers le bâtiment des espions américains.) Alicia attend devant la porte. Cette attente précise l’importance symbolique que cette action comporte. En effet, elle est espionne et elle parvient à s’introduire dans le quartier général des nazis. C’est à partir de là que le voyeurisme du à l’espionnage commence réellement et donc l’importance des clés et portes s’accroît. Une fois à l’intérieur, le majordome, la dirige vers une pièce, mais elle entend que Alex se trouve dans une autre pièce dont la porte est fermée. Hitchcock filme cette porte. Notorious comporte de nombreux plans de porte qui sont apparemment sans importance mais qui deviennent des motifs dont le spectateur finit par en attendre quelque chose.

L’importance des plans de porte n’est pas évidente jusqu’à ce que Alicia comprenne que ce sont les bouteilles de vin qui contiennent ce qu’elle doit découvrir. Lorsqu’elle Alicia emménage, elle a besoin de placards, il lui manque les clefs. C’est la mère d’Alex Sebastian qui les a. Elle s’aperçoit que la mère ne les donnent pas avec plaisir en écoutant à travers une porte lorsque Alex va les demander. S’ensuit un enchaînement de plan de portes qui s’ouvrent sur des placards. Cela représente le pouvoir qu’a à présent Alicia, elle peut découvrir ce qui se cache derrière les portes et donc dans ce milieu nazi. Elle a le pouvoir car elle possède les clés, au sens propre comme au sens figuré, pour trouver la solution. Quand elle arrive à dérober la clef de la cave que Alex conserve personnellement, il se trouve dans la pièce d’à coté, dont la porte est entrebâillée, Alicia surveille qu’il n’y réapparaisse pas. Hitchcock crée un suspens entre le fait qu’elle vole des clefs et la peur qu’elle a de le voir réapparaître par cette porte, c’est intéressant car une clef et une porte sont lié par essence. Ensuite, elle a la clé dans la main et il veut les lui embrasser. Elle parvient à la dissimuler, la caméra suit le parcours de la clef de sa main, au dos de Alex, puis au sol, par un travelling.

De même, c’est par un travelling, dans la scène de la réception, que l’importance de cette clé est appuyée.

« François Truffaut : (…) la caméra au-dessus du grand lustre, embrassant tout le hall de réception et cadrant, en fin de course, la clef du verrou dans la main d’Ingrid Bergman.

Alfred Hitchcock : Ca, c’est le langage de la caméra qui se substitue au dialogue.Dans Notorious, ce grand mouvement d’appareil dit exactement : voilà une grande réception qui se déroule dans cette maison, mais il y a un drame ici et personne ne s’en doute, et ce drame réside dans un seul fait, un petit objet : cette clef. » 1

Le plan présente l’ensemble de la pièce et finit par un gros plan sur la clef qui passera plus tard de la main de Alicia à celle de Devlin. Elle attend Devlin, qui est retard, cette attente est accentuée par un plan de la porte d’entrée. Ensuite dans la cave, la clef permet d’ouvrir la porte derrière laquelle se trouve l’objet de la quête, l’uranium.

III Empoisonnement et enfermement

Manque d’alcool et perte d’une clef : découverte de la vérité

Alors que par le manque d’alcool et la possession de la clef de la cave, Alicia découvre le secret des nazis, par une clef perdue et une bouteille manquante Alex comprend qu’Alicia est une espionne.

Alex ne retrouve pas sa clé le soir de la réception. Avant de se coucher il pose son trousseau sur une table, on nous présente sa vision : un gros plan du trousseau qui comporte 3 clés. Le lendemain, un gros plan présente le trousseau avec 4 clés. Ainsi, c’est par les clés que lui aussi verra clair, qu’il découvrira qui est Alicia, qu’elle est une espionne américaine. Les plans de clés, de portes accentuent leur importance. Hitchcock les met en valeur par l’utilisation de gros plans et aussi par des travelling qui suivent le trajet des clés, ce qui donne une vie aux clés, elles se déplacent. Le travelling sur les clefs dans la scène du bal est à rapprocher du travelling sur la tasse. Hitchcock utilise le même type de mise en scène pour mettre en évidence les deux éléments qui donnent la solution.

La boisson va recouvrir l’aspect de la mort et delà naîtra le suspense. Le manque de champagne le jour de la réception est l’élément perturbateur qui conduira Alex à se rendre compte qu’il n’a plus la clef de la cave. Devlin espère qu’il ne manquera pas de champagne et le plan suivant nous voyons Hitchcock entrain de boire d’un coup un verre de champagne, il participe à la pénurie de champagne. Ensuite un gros plan des bouteilles de champagne est la vision de Alicia qui vérifie combien il en reste, d’ailleurs elle pose la question à un serveur. Un même plan présentera la vision de Devlin, qui demandera du feu à un serveur pour pouvoir se rapprocher de la caisse contenant les bouteilles. Ce même cadrage sera repris alors que Devlin est à la cave, ce montage parallèle crée le suspense, on comprend que c’est Alex qui vérifie si il faut chercher d’autres bouteilles à la cave. Hitchcock utilise des plans subjectifs, des gros plans sur les bouteilles pour les mettre en évidence et montrer leur importance.

Une autre scène présente Alicia confiant à Devlin qu’il n’y a presque plus de champagne alors qu’ils sont tous deux entrain d’en boire. Enfin, dans la cave, Devlin découvre ce que cache ces bouteilles, c’est de l’uranium. Alex découvre qu’une des bouteilles de la cave à été remplacée après avoir été cassée. Il comprend qu’elle est espionne. C’ A partir de là, la boisson devient un poison.

Poison

Alex et Alicia déjeunent, un travelling s’arrête sur la tasse de café d’Alicia en gros plan, elle attrape la tasse et boit. Alex lui demande de finir son café, l’action de finir son verre est récurrent dans ce film. Comme nous l’avons vu, Alicia demande à Devlin de finir son verre d’alcool, Devlin demande à celle-ci de finir son médicament pour dessaouler et Alex dit à Alicia de finir son café empoisonné. L ‘action de boire fait donc une boucle. La caméra nous montre ce qu’il faut voir, insiste sur cette boisson. Un espion américain dit à Alicia, malade, de faire attention au soleil. A ce plan se surimprime une tasse de café terminée en gros plan, un travelling part de la tasse pour se terminer sur Alicia et Alex en train de s’éloigner de la table. La mise en garde d’un danger par l’espion suivit du plan sur la tasse, définit quel est le mal. Quand Alicia rencontre Devlin, elle lui fait croire que son état est du à l’alcool. Elle est malade à cause d’une boisson en effet, mais ce n’est pas l’alcool mais le poison.

Ce jeu sur la boisson qui est le poison, montre que le problème d’Alicia s’est déplacée de l’alcool au poison. La scène où Alicia est en famille présente aussi où se trouve le danger. Un travelling débute par un plan d’ensemble, se rapproche de la mère qui sert une tasse de café, le travelling continu en gros plan sur la tasse qui est déplacée vers Alicia par la mère, puis se déplace sur le visage d’Alicia à laquelle on demande depuis quand elle est malade. Puis un plan sur le visage d’Alicia présente au premier plan la tasse, qui acquiert une taille démesurée et donc une importance.

Ainsi comme les autres travellings sur le trajet des objets, ce travelling présente quel chemin fait le poison. On voit que le poison est donné par la mère et est destiné à Alicia. Mais ce travelling personnifie aussi l’objet de la tasse, ce n’est pas seulement une tasse, mais une intention. En effet, cette tasse suit le cheminement commandé par la mère, cette tasse est dirigée par une intention humaine. D’ailleurs, un champ contre champ sur Alicia entrain de boire et sur la mère montre que cette dernière vérifie qu’elle boive bien son poison. Un gros plan sur deux tasses identiques dont celle d’Alicia dans lequel entre la main d’un ami qui se trompe de tasse, présente que le narrateur indique au spectateur l’erreur qui va être commise. C’est alors que cet échange inquiète Alex et sa mère et c’est ce qui permet à Alicia de découvrir qu’on l’empoisonne. Un gros plan de sa tasse montre ce que regarde Alicia, qui vient de comprendre. Un plan subjectif déformé montre les hallucinations de Alicia. Ainsi, on remarque que les caméras subjectives au début du film montrait l’enivrement de celle-ci mais maintenant c’est l’empoisonnement. L’utilisation du même moyen technique pour montrer ces deux états créent un parallèle entre l’enivrement et l’empoisonnement. Cela dénonce l’intention d’Hitchcock de montrer le déplacement du danger, de ce qui nuit à Alicia, sa vie débauchée et maintenant sa mise à mort.

Mort

Les clefs et portes vont à présent symboliser l’enfermement, la mort. En effet, quand elle se retourne pour quitter la pièce, sur la porte de sortie, les ombres de ces deux personnages marquent leur présence, leur pouvoir sur elle même lorsqu’elle ne les voit pas. Ils gardent la porte de sortie de la pièce même par leur ombre. Ils sont donc en position de force, de supériorité extrême. Ils ont le pouvoir de l’enfermer.

Devlin vient chez Alex, il parle par l’entrebâillement de la porte, on ne le laisse pas entrer. Il se dirige dans la chambre d’Alicia sans y être autorisé car elle est maintenue prisonnière.

Elle dit à Devlin qu’ils l’empoissonnent, qu’elle est prisonnière.

Quand, Alicia et Devlin descendent les escaliers, la vision d’Alicia regardant les nazis est troublée. Elle est soumise à une déformation des sens, prisonnière de ses sens imparfaits. Hitchcock utilise une caméra subjective avec déformation de la vision. Ils vont vers la sortie. Ils vont sortir de la maison, passer la porte.

IV Guérison et libération

Mais la boisson va ensuite devenir l’antidote. Devlin dit à Alex qu’il va chercher l’antipoison. La dernière scène présente les nazis qui regardent de l’intérieur, à travers la porte d’entrée Alex, Alicia et Devlin qui eux sont dehors, ont réussi à s’échapper. Le plan est comme un cadre dans le cadre. Ensuite la vison est inversé, de l’extérieur, on voit les nazis derrière la porte d’entrée alors que Devlin et Alicia sont dehors. Ils sont à présent libérés. Par contre Devlin ferme la porte de la voiture à clé pour empêcher Alex d’entrer ce qui lui permettrait d’échapper aux nazis. Il se retrouve donc enfermé, emprisonné dans une situation qui va le conduire à la mort. Un plan fixe le présente en train de remonter les marches de la maison, les nazis sont dans la lumière, droits, statiques, ils l’attendent, ils referment la porte derrière lui. Il est enfermé chez lui par les nazis. Le plan de l’extérieur sur cette porte est le dernier du film. Remarquons que Alex remonte les escaliers tout en sachant qu’il se constitue prisonnier, il est conscient de la situation mais ne fait rien contre cela. Il s’enferme de lui même. De même que lorsque Alex annonce son mariage à sa mère, il sortira de la pièce en fermant la porte derrière lui. Il s’enferme lui même, dans son erreur. En effet, il épouse une espionne, ce qui va causer sa mort.

Conclusion

La boisson et les clefs et portes suivent donc l’évolution du récit, ont une fonction qui suit celle du récit. C’est par ailleurs ces objets et l’action de boire qui mènent le récit. Notorious est le récit du changement d’une femme qui veut séduire l’homme qu’elle aime, ce qui la conduit à devoir réussir une quête pour prouver sa valeur à celui-ci. Pour mériter l’amour, cette femme frivole doit devenir respectable et doit donc arrêter l’alcool.

L’objet de la quête se trouve dans des bouteilles d’alcool qui sont cachées dans une cave dont elle doit avoir les clés. Ainsi, les objets du film sont ceux qui permettent de trouver le Mac Guffin et ils mènent donc l’action.

Ainsi les clés symbolisent le fait de cacher quelque chose, ou à l’inverse de trouver la solution. Ce sont elles, en effet, qui permettent à Alicia de trouver le secret des nazis et à Alex de démasquer Alicia.

La porte symbolise le secret, c’est derrière une porte que se trouve l’uranium. Elle symbolise aussi l’enfermement. Alicia est, au début du film, sous l’emprise de l’alcool, droguée. Alicia est ensuite enfermé chez Alex car elle est empoisonnée, ne peut plus s’enfuir. Alex lui devient prisonnier des nazis qui vont le tuer. Devlin est prisonnier de ses préjugés sur les mœurs d’Alicia, ce qui l’empêche dans un premier temps, d’aimer Alicia.

Le sens symbolique du film semble être qu’il ne faut pas se fier aux apparences, de même que Alicia croit voir du brouillard alors que ce sont ses cheveux, Devlin se fie à l’apparence frivole d’Alicia et refuse de l’aimer, alors qu’elle est une femme courageuse. L’alcool, déforme la vision d’Alicia quand elle est enivrée. Mais cela a aussi pour but de montrer que Devlin fait lui aussi une erreur de jugement concernant Alicia. Ce n’est donc pas seulement l’alcool qui empêche de voir la vérité. Alex fait aussi une erreur de jugement. Il s’aperçoit qu’il a été espionné et donc décide de déformer la vision, les sens de Alicia qui elle, a eu les capacités pour tout découvrir sur lui, le démasquer. Il a été démasqué dans ses activités nazis, elle a trouvé la « clef », elle a une vision claire de la situation, c’est donc par la déformation des sens qu’il va se venger.

Notorious est un film sur les faux semblants, les doubles et le travail d’Hitchcock sur les objets et l’action de boire le révèle. Les Mac Guffin font avancer l’action et symbolise le sens de cette histoire.

Synopsis

En 1946, un nazi est condamné par un tribunal américain. Sa fille Alicia a toujours été en désaccord avec les idées de son père et mène une vie dépravée. Devlin, un agent du gouvernement lui propose de remplir une mission : contacter Alex Sebastian un ancien ami de son père, dont la maison est le repère de nazis réfugiés au Brésil. Par amour pour Devlin, elle fréquente la maison de Sebastian, qui la demande en mariage. Freiné par la conscience du devoir et par les mœurs d’Alicia, Devlin la laisse épouser Sebastian. Une fois mariée, les chefs chargent Alicia de s’emparer de la clé de la cave gardée soigneusement par Sebastian. En inspectant la cave, Alicia et Devlin découvrent de l’uranium caché dans des bouteilles de vin. Mais Sebastian les surprend et comprend qu’il est marié à une espionne américaine. Aidé par sa mère, il tente de tuer Alicia en l’empoisonnant progressivement afin que la mort semble naturelle. Mais Devlin sauvera Alicia et lui avouera son amour.

Générique

Réalisation : Alfred Hitchcock
Scénario : Ben Hecht ( Alfred Hitchcock, David O. Selznick, Clifford Odets sous le pseudonyme de A. B. Clifford) d’après l’histoire de John Tainter Foote « The Song of the Dragon » parue dans le Saturday Evening Post.
Photographie : (n&b) Ted Tezlaff, Gregg Toland (s.e)
Direction artistique : Albert S. d’Agostino, Caroll Clark
Décors : Darell Silvera, Claude Carpenter
Effets spéciaux : Vernon L. Walker, Paul Eagler
Musique : Roy Webb, C . Bakaleinikoff
Costumes : Edith Head (pour Ingrid Bergman)
Montage : Theron warth
Assistant réalisateur : William Dorfman
Assistante de production : Barbara Keon
Dialogue Director : Ruth Roberts
Production : Alfred Hitchcock pour RKO

Pays : Etats-Unis
Année : 1946
Durée : 104’
Titre français : Les Enchaînés

Interprétation :
Cary Grant : T.R Devlin
Ingrid Bergman : Alicia Huberman Sebastian
Claude Rains : Alexander Sebastian
Louis Calhern : Le capitaine Paul Prescott
Leopoldine Konstantin : Madame Anna Sebastian
Reinhold Schünzel : Professeur Wilhelm Renzler
Alfred Hitchcock : un invité à la soirée chez Sebastian

Le Mac Guffin

Pour Hitchcock, le Mac Guffin est le genre de détail dont le spectateur n’a rien à faire mais qui ponctuent le film d’une énergie dramatique.

Ces objets sont primordiaux pour le héros, mais sont, à priori, sans grand intérêt pour le spectateur.

Ce terme de Angus Pas Phail a été repris par Hitchcock pour définir cet exercice de style.
Le Mac Guffin est, selon Pascal Bonitzer, « L’objet du désir par excellence ».

« Dans tous les films d’espionnage, vous devez avoir ce que l’on appelle le MacGuffin. Le MacGuffin à la fin des 39 Marches, c’est l’histoire de l’avion secret. Ce que vous y mettez importe peu ! C’est cela le Mac Guffin, c’est qu’il n’y a rien ! Le mot Mac Guffin provient de l’histoire de deux hommes conversant dans le compartiment d’un train. Il y a un porte-bagages au-dessus d’eux. Un des hommes le regarde et dit :
_ Excusez-moi, monsieur, qu’est-ce que c’est que ce drôle de bagage au-dessus de votre tête ?
L’homme regarde et répond :
_ Oh, c’est un Mac Guffin !
_ Qu’est-ce que c’est un Mac Guffin ?
_ Eh bien, c’est un système pour attraper les lions dans les montagnes d’Ecosse.
L’homme dit alors :
_ Mais, il n’y a pas de lions dans les montagnes d’Ecosse ?
_ Eh bien, alors, il n’y a pas de Mac Guffin. »2

Naissance du Mac Guffin-Uranium

« Lorsque nous avons entrepris d’écrire Notorious et que j’ai commencé à travailler avec Ben Hecht, nous sommes partis à la recherche du Mac Guffin et, comme souvent, nous avons commencé en tâtonnant et nous avons pris des directions trop compliquées. (…) Alors nous avons envoyé promener tout cela et nous avons adopté un Mac Guffin tout simple, mais concret et visuel : un échantillon d’uranium dissimulé dans une bouteille de vin. (…) Le producteur ajoute : « Eh quoi ! Au nom du ciel, qu’est-ce que c’est que ça ? » Je réponds : « C’est de l’uranium, et cela doit servir éventuellement à fabriquer une bombe atomique. » Il ajoute : « Quelle bombe atomique ? »

Cela se passait en 1944, un an avant Hiroshima. Je n’avais là-dessus qu’une indication, une piste.(…) Le producteur était scandalisé. Cette histoire de bombe atomique lui apparaissait trop absurde pour être la base d’une histoire. Je lui dis : « Ce n’est pas la base de l’histoire, c’est seulement le Mac Guffin », et je lui expliquai ce qu’était le Mac Guffin et le peu d’importance qu’il convient d’y attacher. A la fin, je lui dis : « Si vous n’aimez pas l’uranium, prenons des diamants industriels dont on imaginera que les Allemands ont un besoin vital, par exemple pour tailler leurs outils. Si notre histoire n’était pas liée à la guerre, on aurait peut-être fait une intrigue à propos de vol de diamants, tout cela n’a aucune importance. » Je n’ai pas réussi à convaincre le producteur, aussi nous a-t-il tous « revendus » deux semaines plus tard à la R.K.O. : Ingrid Bergman – Cary Grant – le scénario – Ben Hecht et moi, tout cela en tant que package.

A présent, il faut que je vous raconte la fin de l’histoire du Mac Guffin-Uranium et cela se passe quatre ans après la sortie de Notorious. Je voyage sur le Queen Elisabeth et je rencontre un associé du producteur Hal Wallis, un homme qui s’appelle Joseph Hazen. Il me dit : « J’ai toujours voulu vous demander comment est-ce que vous avez eu l’idée de la bombe atomique un an avant Hiroshima ? Quand on nous a offert le script de Notorious, nous avons refusé de l’acheter en pensant que c’était la chose la plus idiote pour servir de base à un film. »

De nouveau nous retournons en arrière, car je dois vous raconter un épisode qui a précédé le tournage de Notorious. Ben Hecht et moi, nous sommes allés à l’Ecole polytechnique, à Pasadena, pour rencontrer le docteur Milliken, à ce moment-là le plus grand savant d’Amérique. On nous introduits dans son bureau et il y avait là dans un coin, le buste d’Einstein, c’était très impressionnant. La première question que nous lui avons posée était : « Docteur Milliken, une bombe atomique, ce serait grand comment ? » Il nous a regardés : « Vous voulez vous faire arrêter et vous voulez me faire arrêter aussi ? » Et, pendant une heure, il nous a dit à quel point, il était impossible de fabriquer une bombe atomique et il a conclu : « Si on pouvait seulement contrôler l’hydrogène, ce serait déjà quelque chose. » Quand nous sommes partis, il pensait nous avoir convaincus, mais j’ai appris plus tard qu’àprès cette visite le F.B.I. m’avait fait surveiller pendant trois mois.

Revenons sur le bateau lorsque M. Hazen me dit : « Nous pensions que l’uranium était la chose la plus idiote pour servir de base à un film. » Alors je lui ai répondu : « Cela prouve à quel point vous aviez tort de croire que le Mac Guffin est important. L’ histoire de Notorious, c’était simplement un homme amoureux d’une fille qui, au cours d’une mission officielle, a couché avec un autre homme et a été contrainte de l’épouser. Voilà l’histoire. Vous vous rendez compte maintenant de l’erreur que vous avez faîte et qui vous a fait perdre tellement d’argent, car le film, qui avait coûté deux millions de dollars, en a rapporté huit de profits nets ? » 3

A savoir

1. Hitchcock in HITCHCOCK/TRUFFAUT ( avec la collaboration de Helen SCOTT ), Gallimard, 1999, p. 95.
2. Hitchcock in « Hitchcock », in Interview, septembre 1974.
3. Hitchcock in HITCHCOCK/TRUFFAUT ( avec la collaboration de Helen SCOTT ), Gallimard, 1999, pp. 139-140.

Bibliographie

ZIZEK Slavoj (directeur de publication), Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Lacan sans jamais oser le demander à Hitchcock, Paris, Navarin, Supplément à Analytica n°53, 1988.
HITCHCOCK/TRUFFAUT ( avec la collaboration de Helen SCOTT ), Gallimard, 1993 .

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